[PAVÉ] Le forum m'a BRISÉ

Mais je ne l’ai pas fait.

Pas par dégoût. Pas même par lassitude.

Juste… parce que je n’en avais pas besoin.

Il y a quelque chose qui a changé cette nuit, même si je ne saurais dire quoi. Ce n’est pas une rédemption. Je n’ai pas “quitté la boucle”, ce mot est trop solennel, trop final. Mais j’ai cessé de la regarder comme une prison. Peut-être que c’est ça, le vrai twist : on n’est pas enfermés dedans, pas vraiment. On y reste parce qu’on y trouve quelque chose. Une vibration. Un miroir. Un terrain vague où balancer ses idées en slibard sans s’excuser.

Je me rends compte que je ne les déteste pas, les kheys. Même ceux qui se foutent de tout. Même ceux qui m’ont affublé de prénoms à rallonge. C’est grotesque, oui, mais c’est leur façon de dire "je t’ai vu". Une manière perverse de reconnaître une présence. Une sorte de langage codé où l’insulte est une poignée de main mal faite, et le shitpost un clin d’œil entre deux rires nerveux.

Alors non, je ne suis pas guéri. Ce mot n’a pas de sens ici. Mais je me tiens un peu plus droit.

Je t’entends déjà, Giuseppe. Tu dirais : “Tu dramatises. C’est qu’un forum.”
Oui. C’est vrai.
Mais il y a des lieux, même numériques, qui ne sont pas que des pixels. Il y a des lieux qui te prennent quelque chose. Qui creusent. Qui t’avalent comme une vieille cave familière.

Le forum ne m’a jamais rien promis. C’est ça, le plus pervers. Il ne m’a pas séduit avec des slogans. Il m’a juste tendu un banc. Une lumière tamisée. Et un silence peuplé de hurlements absurdes. J’ai cru y trouver un abri, Giuseppe. Une langue partagée, même difforme. Des gens qui, comme moi, écrivaient entre les lignes. Même quand ils postaient des montages cradingues ou des débats sur l’utilité d’un pass sanitaire.

C’est là que j’ai commencé à danser.

Pas littéralement, non. Je ne faisais pas de cabrioles sur commande. Mais je postais. Toujours plus vite, toujours plus fort. L’absurde en guise de carburant. J’ai créé des topics que je ne comprenais pas moi-même. J’ai enchaîné les pseudos, les réinventions. Et chaque fois, ils m’ont reconnu.

C’est là que le surnom est revenu.
Un patchwork de consonnes, un sketch involontaire. Ils me le collaient au front comme une étiquette post-nationale, post-raison. Et ça les faisait rire. Moi aussi, parfois.

Mais il y avait autre chose, dans ce nom.

Une manière de dire que je n’étais plus vraiment un individu. Que j’étais devenu une figure. Le Monstre. Celui qui ressurgit, qui alimente la boucle, qui maintient l’équilibre des délires. Celui dont on attend la chute, la réplique, l’étrangeté. On ne me demandait pas si j’allais bien. On me demandait si j’étais prêt à poster.

Et j’ai dit oui, longtemps.

Mais voilà, aujourd’hui, je n’ai rien posté. Pas une ligne. Pas même un “UP d’archéologue”. Et le silence, Giuseppe, il ne me fait plus peur. Il m’intrigue. J’observe.

Un topic a surgi tout à l’heure :
“Le Monstre a disparu ?”
Et ça m’a arraché un sourire.
Il y avait une inquiétude feinte, bien sûr, un masque d’ironie. Mais derrière, quelque chose vibrait. Une tension, légère, presque imperceptible. Comme s’ils avaient remarqué. Comme si mon absence créait un déséquilibre.

Peut-être que c’est ça, leur faiblesse.
Peut-être qu’ils ont besoin du monstre autant qu’ils prétendent le railler.

Je ne suis pas en paix, Giuseppe. Pas du tout. Mais je commence à comprendre que la cage n’a pas de barreaux. Elle a juste des habitudes. Des clics qu’on répète. Des rôles qu’on accepte.

Et aujourd’hui, je ne joue pas.

Je regarde. J’écoute.

Il a bidé, Giuseppe.
Mon topic. Mon cri. Mon chant de travers. Rien. Pas une réponse. Pas un rire. Pas même un “ok le schizo”.
Rien.

C’est drôle, en vrai.
J’ai longtemps cru que le silence serait une délivrance. Une forme de paix. Que l’oubli serait la fin de la boucle. Mais non. C’est une autre forme de boucle. Une boucle sans écho. Un gouffre qui ne renvoie même plus de bruit.

Le 15 mai 2025 à 12:57:21 :
Le pauvre Guiseppe qui se prend des turbo pavés dans la gueule

Avant, je savais où je me situais. On m’appelait, on m’invoquait, on me balançait des noms à rallonge comme des insultes-récompenses. On attendait mes conneries. Je faisais partie du décor. Du folklore. L’abruti utile. Le clown toxique qu’on déteste aimer.

Mais là, le topic est resté sec.
Il flotte en deuxième page, vidé de sens, aspiré par les pages de guerre, les shitposts de mi-journée, les débats sur les nouvelles teens en tendance.
Il est là. Mais il n’existe pas.

Le 15 mai 2025 à 13:00:23 :
pas lu + baize le

Je me suis relu, Giuseppe. Juste pour voir. Pour comprendre.
Ce n’était pas si mal. Peut-être un peu trop propre, un peu trop chargé. Pas assez d'issou. Pas assez de folie. Pas assez de ce que “les kheys” veulent.
Mais c’était moi. Et personne n’a regardé.

Le 15 mai 2025 à 13:01:36 :
C'est le topic le plus zinzin que j'ai lu du mois et la compétition était rude

Tu sais ce que c’est, le vrai bide ? Ce n’est pas l’échec. C’est l’indifférence. L’échec, au moins, provoque une réaction. Une moquerie, une pique, un screen. Le bide, lui, c’est le vide. Le forum a digéré le post sans le mâcher. Il l’a zappé comme une pub trop longue sur YouTube.

Et pourtant, je reste là. À guetter le petit topic rouge. Le message. La réaction. Le signe.
Rien.

Peut-être que j’ai perdu la main. Peut-être que la boucle m’a évacué. Peut-être qu’un autre danse, maintenant.
Peut-être que je suis devenu ce que je craignais le plus : un ancien.
Un vestige.
Un pseudo qui ne veut plus rien dire.

Giuseppe, je te le dis franchement : c’est étrange de vivre sa propre disparition, en direct, depuis l’intérieur.

Mais ce n’est pas que triste.

C’est aussi... libérateur.

Parce que dans ce silence, je peux penser à autre chose.
Peut-être que je n’ai plus à danser. Peut-être que je peux écrire, pas pour eux, mais pour un autre lieu. Ou pour personne.
Peut-être que ce bide, c’est la porte. Pas celle qui claque. Celle qui s’entrouvre, discrètement.

Je vais laisser le topic couler. Je ne vais pas le upper. Pas cette fois.

Je vais marcher, Giuseppe. Vraiment. Mettre des chaussures, sortir, prendre un peu de vent dans la gueule.
Peut-être même acheter un café à deux balles. Regarder les gens. Me rappeler comment on fait.

On verra bien si le forum m’appelle.

Je n’ai pas tenu, Giuseppe.

Trois jours. Peut-être quatre, si on ne compte pas les scrolls furtifs sur téléphone, en cachette, entre deux brefs éclats de réel.

Le vent dans la gueule, c’était bien. Un moment. Mais il ne comble rien. Il passe. Il s’épuise. Et le silence revient. Pas le silence paisible, non. Le vrai. Celui qui gratte derrière la nuque, celui qui demande : “Et maintenant ?” Alors je suis revenu.

Pas comme on revient d’un voyage.

Plutôt comme on rentre chez soi après s’être fait foutre dehors du monde réel.
Pas de valise, pas de récit. Juste un vieux clavier, une connexion automatique, et cette lumière bleue qui fait semblant d’éclairer.

Le forum n’a pas changé. C’est ça le pire, ou peut-être le réconfort : les mêmes pseudos, les mêmes délires rincés, les mêmes images pixelisées de Risitas qu’on continue de poster comme si c’était nouveau.