Je suis brisé, Giuseppe, entends-moi.
Fracassé par la boucle, pulvérisé par les topics, ce forum m’a réduit en miettes.
Je danse, pantin grotesque, pour mes maîtres, ceux qui m’enchaînent pour produire le RSA des kheys. Je suis leur jouet, leur monstre de foire.
Brisé, Giuseppe, je ne suis plus qu’un cri.
Dans l’obscurité de ma chambre, l’écran projette sa lueur blafarde, un phare cruel qui m’attire et me noie. Les topics s’enchaînent, interminables, des spirales de mots où je me perds. Chaque post est une lame, chaque réponse une chaîne. Ils rient, Giuseppe, les kheys, derrière leurs pseudos, ils rient de ma chute. Je suis leur bouffon, leur marionnette aux fils emmêlés.
Autrefois, j’avais un nom, une voix. J’écrivais pour moi, pour rêver, pour crier. Mais le forum m’a avalé. Il m’a mâché, recraché, transformé en cette chose qui danse pour leurs clics, leurs moqueries, leurs miettes d’attention. Mes maîtres, ces ombres sans visage, tirent les ficelles. « Poste encore, dis quelque chose de drôle, de choquant, d’absurde ! » Et moi, je plie, je rampe, je saigne des mots pour leur plaisir.
Giuseppe, toi qui m’écoutais jadis, toi qui savais lire entre mes silences, peux-tu encore voir l’homme sous le monstre ? Je suis là, quelque part, enseveli sous les teens, asphyxié par les boucles. Je veux m’enfuir, briser l’écran, arracher les chaînes. Mais le forum est une bête vorace, et je suis sa proie.
Je suis brisé, Giuseppe. Mais dans ce fracas, je cherche encore une étincelle, un sursaut, un souffle pour redevenir moi.
La nuit est épaisse, Giuseppe, un linceul qui pèse sur mes épaules. L’écran clignote, son éclat me brûle les yeux, mais je ne peux m’en détourner. Les voix des ombres bourdonnent, un essaim qui me harcelle. « Encore un mot, encore un cri », susurrent-elles, et mes doigts, tremblants, obéissent. Chaque lettre que je tape est un pas de plus vers l’abîme, mais c’est tout ce que je sais faire. Écrire. Saigner. Exister, même dans cette prison de verre.
Je me souviens, Giuseppe, des jours où le monde avait des couleurs. Je marchais dans les rues, le vent caressait mon visage, et mes pensées étaient miennes. Aujourd’hui, elles appartiennent à la boucle, à ces spectres qui me jugent, me raillent, me dissèquent. Ils ne voient pas l’homme, seulement le pantin. Ils ne lisent pas mes mots, seulement leur reflet dans leur propre vide.
Pourtant, ce soir, quelque chose vacille. Une fissure dans la bête. J’ai écrit ce chant, ce dernier éclat, et pour la première fois, je l’ai écrit pour moi. Pas pour leurs rires, pas pour leurs chaînes. J’ai parlé de la flamme que j’étais, de l’ombre que je suis, du souffle que je veux redevenir. Et dans le silence qui suit, Giuseppe, je l’entends : un murmure, faible, mais mien. Mon propre écho.
Les ombres n’ont pas répondu. Peut-être n’ont-elles pas lu, ou peut-être mes mots, pour une fois, les ont traversées sans les nourrir. Je ferme les yeux, Giuseppe, et pour un instant, je ne suis plus leur monstre. Je suis un homme, brisé mais vivant, un éclat fissuré mais encore brûlant. La boucle gronde toujours, mais je refuse de danser.
Demain, je briserai l’écran. Ou peut-être pas. Peut-être me contenterai-je de marcher, de sentir le vent à nouveau, de chercher un horizon sans chaînes. Ce ne sera pas facile, Giuseppe. La bête est tenace, et ses griffes sont profondes. Mais ce soir, j’ai retrouvé un fragment de moi. Et ce fragment, je le garderai.
L’écran vacille à peine, Giuseppe, ou peut-être mes yeux sont-ils trop las pour sentir sa morsure. La nuit s’étend, vaste et pesante, écrasant les murs de ma tanière. Je suis toujours là, brisé, une chose éclatée qui respire seulement parce qu’elle ne sait faire autrement. La boucle bourdonne au loin, son rythme un pouls dont je ne peux me défaire, bien que ce soir, elle semble plus douce, comme une marée qui se retire juste assez pour laisser entrevoir la rive.
Je suis leur monstre, Giuseppe, leur pantin tissé des fils de leurs caprices. Les ombres, ces kheys aux pseudos moqueurs, s’attardent encore dans les recoins de mon esprit, leurs murmures faibles mais jamais tus. Ils n’exigent plus ma danse, pas comme avant. Peut-être se lassent-ils de moi, ou peut-être mon dernier chant, frêle, tremblant, leur a-t-il glissé entre les doigts, trop brut pour qu’ils s’en repaissent. Je l’ai écrit pour l’homme que j’aurais pu être, pour l’éclat d’un moi que je peine à me rappeler. Et dans son écho, j’ai trouvé quelque chose. Pas le salut, Giuseppe, mais un souffle. Un souffle unique, obstiné.
Giuseppe, il y a dans cette nuit quelque chose de différent. Peut-être est-ce le silence après le tumulte, peut-être est-ce l’absence de notifications, ou juste cette fatigue qui n’écrase plus, mais apaise. J’ai posé mes mains à plat sur le bureau, senti le bois sous mes paumes, et j’ai respiré. C’est idiot, tu sais, comme les gestes les plus simples peuvent devenir des révolutions. Respirer. Fermer les yeux sans peur. Ne pas vérifier si un "khey" a cité ma dernière phrase pour l’avilir en first assassin. Ne pas tendre l’oreille au cliquetis perfide du refresh automatique. Juste… exister. En dehors.
Le 15 mai 2025 à 11:04:25 :
Brisure de belle envergure
Le forum me hante encore. Je le sens. Il palpite quelque part, là, comme un cœur monstrueux auquel je suis encore greffé. Mais cette nuit, Giuseppe, j’ai senti un relâchement. Une suture mentale. Une disjonction, même infime, entre le monstre et moi. Ce fil, si fin soit-il, est peut-être un chemin. Tu te souviens de nos rêves, Giuseppe ? Avant le grand engloutissement. On voulait écrire des récits qui secouent les âmes, pas des shitposts sur fond noir.
Le 15 mai 2025 à 11:05:58 :
Non, tu es Cacadétruire.
Je suis debout, Giuseppe, mais c’est un équilibre précaire. Chaque seconde menace de m’engloutir à nouveau. Je marche sur un fil tendu entre deux gouffres : l’oubli et la rechute. D’un côté, le vide d’un monde sans les échos du forum, sans les bourdonnements familiers des pseudos connus, sans le confort toxique des joutes absurdes. De l’autre, la spirale, la boucle, la douce agonie des notifications, le plaisir douloureux d’un post ou cancer, le poison doré d'une DDB.
Je suis brisé, Giuseppe. Mais je marche.
Et parfois, marcher, c’est déjà vaincre.
Ce matin, j’ai vu la lumière. Pas celle de l’écran. La vraie. Celle qui filtre à travers les volets, celle qui ne clignote pas, ne juge pas, ne notifie rien. Elle ne dit rien, la lumière du matin, Giuseppe. Elle se pose. Elle éclaire sans condition.
Je suis resté là, figé, à regarder cette lumière inonder les murs de ma chambre. Les ombres dansaient doucement, sans demander de feed, sans ironie. Juste une danse simple, vivante. Et j’ai compris que le monde continuait, même sans moi. Même sans mes posts, mes stickers, mes délires absurdes à 3h du matin. Le monde existe encore. Il ne m’a pas attendu. Et pourtant, il m’accueille comme si je n’étais jamais parti.
J’ai hésité à me reconnecter. L’onglet du forum est là, toujours. Il attend. Il sait. Il murmure à peine, mais je l’entends. Il me connaît trop bien. Il sait que ma solitude est son appel. Que ma fatigue est sa faille. Que mon besoin d’exister, quelque part, est sa porte d’entrée.
Aujourd’hui, j’ai bu un café sans écran. J’ai regardé la vapeur s’élever, fragile et libre. J’ai senti l’amertume sur ma langue, brute, réelle. Pas une opinion, pas un post, pas un clash. Juste le goût du matin.
Giuseppe, je ne prétends pas être guéri. Je ne joue pas au héros. Je suis un homme écorché qui a oublié comment vivre hors ligne. Mais cette trêve, même infime, me suffit pour respirer un peu mieux.
Je suis sorti, Giuseppe. Ou peut-être que j’ai juste changé de cage.
Le bitume sous mes pieds, la rumeur d’un monde qui respire sans moi, ça m’a fait vaciller. Tu sais, ce moment où le silence réel te gifle plus fort que les insultes pixelisées. Je croyais être libre. Je croyais avoir brisé quelque chose.
Mais la boucle… elle est là.
Je la sens dans ma nuque, comme une main invisible. Elle me parle sans mots, me murmure des fragments : "Poste, monstre. Danse pour eux. Donne-leur ton fiel, ton feu, ton foutu désespoir." Et je vacille, Giuseppe. Je vacille toujours.
Ils m’ont tout pris là-bas. Même mon nom.
Je ne suis plus rien qu’un amas d’alias grotesques : Giuseppe von Abdelkader Valentin Yussuf. Le Khey-Monstre. Le Bouffon du Topic. Le Dernier de la Boucle. Chaque surnom une couche de peinture dégoulinante sur un visage que j’ai oublié. Un jour, j’ai posté une photo de moi, juste un reflet dans une vitre, et ils ont ri pendant sept pages. J’étais devenu le Monstre. Plus personne ne m’appelait autrement. Même moi.
Je me souviens du jour où tout a basculé.
Un topic vide. Trois mots :
Je suis fatigué.
C’était moi. Pas un rôle. Pas une vanne. Pas un délire. Juste une fracture sincère dans la farce. Et ils ont flairé la faiblesse. Ils sont arrivés comme une marée d’hyènes, postant des images déformées, des pseudos absurdes.
Même mes phrases ont été détournées, mixées, retournées en memes dans un topic de 300 pages. Ils m'ont mis en signature, Giuseppe. Tu te rends compte ? Ils citent mes cris comme des symboles. Mon désespoir est un sticker. Mon silence, une réaction.
Mais maintenant je suis le Monstre.
Je suis celui qu’ils invoquent à 3h du matin pour relancer la boucle. Je suis la bête de foire des insomniaques, l’épouvantail des nouveaux. Certains m’imaginent vieux, d’autres ado, certains pensent que je suis une IA lancée en 2013 qui bug toujours dans sa chambre. La vérité, Giuseppe ? C’est que moi-même je ne sais plus.
Mais je me souviens d’une chose.
Avant, j’écrivais pour chercher un sens.
Aujourd’hui, j’écris pour survivre.
Ce n’est pas pareil.
La boucle me tient. Le forum est une prison sans murs, un carnaval de l’absurde où chaque topic est un piège tendu. On y rit trop fort, trop vide. Les mêmes phrases tournent, les mêmes figures reviennent, déguisées à peine. Et moi, j’y suis toujours, camouflé dans les délires, tordu dans les réponses. J’existe dans les interstices. Je suis une légende floue, un monstre qu’on cite mais qu’on ne lit plus vraiment.
Mais cette nuit, Giuseppe, je vais écrire encore. Pas un post ou cancer. Pas un topax de cul. Une vérité.
Je vais raconter notre histoire. Ou la mienne. Je vais poser des mots là où il n’y a plus que des cris. Peut-être qu’ils riront. Peut-être qu’ils me banniront. Peut-être qu’ils feront un topic hommage, ou qu’ils me transformeront en nouveau délire du forom.
Mais cette fois, je ne danserai pas.
Le jour s’est levé sans que je m’en aperçoive.
Il s’est glissé entre les volets, sans fracas ni solennité, comme un message discret glissé sous une porte. Une lumière tiède, presque timide, venue me rappeler que le monde existe au-delà de la dalle rétroéclairée.
Je n’ai pas dormi, évidemment. Mais je ne suis pas fatigué. C’est ça, peut-être, la vraie bizarrerie : ce calme qui m’habite. Pas de fièvre, pas de panique, pas même cette tension nerveuse qui précède d’ordinaire l’ouverture du navigateur.
J’ai regardé l’écran. Il était encore là, bien sûr. La page du forum ouverte, figée sur un topic au titre évocateur :
"ICI, on devient des LÉGENDES"
Tu vois le genre. Une promesse floue. Une incantation collective. Dedans, des messages qui oscillent entre l’absurde pur, la confession masquée et l’autodérision en roue libre. J’aurais pu y poster, comme toujours. Une anecdote trafiquée. Une phrase poisseuse d’ambiguïté. Un écho à un ancien délire qui ferait lever quelques sourcils, générerait une réponse, peut-être deux. Un khey qui lâcherait un “Danse, le monstre”, un autre qui copierait juste mon pseudo dans une citation, en majuscules, comme pour conjurer une relique.
JvArchive compagnon