Tu te pointes dans les cercles artistiques comme une ficelle humaine passerait les portes d’une salle de sport, les bras fièrement engainés dans un nouveau prototype d’exosquelette
« Regardez, moi aussi je peux le faire ! »
Voilà ce que le prompteur et la ficelle clament aux passionnés de la vieille école. Le premier en brandissant son texte écrit par ChatGPT, la seconde en s’installant sur le banc pour pousser les plus gros poids des racks
Et dans les deux cas, ils ont raison. La rédaction se tient, et les disques sont soulevés. En termes de performance pure, les deux néophytes égalent les vétérans les plus assidus.
Heureusement, le prompteur n’est pas plus un artiste que ce que la ficelle est un sportif.
Quand on parle d’art, la question de la performance est secondaire à l’effet. Créer, c’est conjuguer un vécu et une technique. Prompter une IA, c’est exactement la même chose que passer une commande très élaborée à un artiste ou, plus exactement, à un océan d’artistes dont l’identité sera diluée de façon homéopathique dans le rendu final.
Ce qui, dans l’absolu, n’est pas un danger. Ce qui est problématique, c’est si les prompteurs commencent à s’approprier ce travail comme si leur idée avait de la valeur.
Les prompteurs sont privés de ces géniales opportunités d’échouer qui parsèment la vie d’un artiste. C’est pour ça que leurs idées n’ont pas de portée. Ce sont au mieux des régisseurs zélés, qui n’ont jamais mis les mains dans le cambouis. Sous le caparaçon technique, il y a une carne asthmatique qu’on essaie de faire passer pour un cheval de course.
Et, oui, quand tu débutes, tu peux prendre une mule souffreteuse pour un étalon de Grand Prix. C’est normal : tu n’as pas eu la chance d’échouer pour te dépêtrer de ta médiocrité.
L’IA donne l’illusion d’un art accessible. En réalité, elle encourage la production plutôt que la création. Elle décourage de cet effort qui aurait pu te transformer en artiste. Elle te dérobe ces douleurs qui t’auraient fait grandir.
Les artistes de profession ne sont pas menacés par l’avènement de l’IA. La catastrophe n’est pas technologique, elle est sociale : comment faire naître l’amour d’un art chez des jeunes qui peuvent faire régurgiter à ChatGPT une œuvre complète et vaguement cohérente ? Comment protéger les débutants d’aujourd’hui de ce dégoût de voir une IA faire mieux, plus vite, sans jamais s’épuiser ?
Pour moi, c’est là qu’est le véritable problème. Au-delà même des questions de droits d’auteurs avec lesquels l’IA se torche. Au-delà de la question du métier d’artiste, qui survivra comme il a survécu à toutes les précédentes technologies. Au-delà aussi de la frustration des écrivains, musiciens ou dessinateurs qui voient les prompteurs prétendre faire le même travail qu’eux
L’IA ne comprend pas pourquoi elle crée. Et le prompteur, s’il n’a jamais créé lui-même, ne le saura jamais vraiment non plus.
D’ailleurs, si on demande à ChatGPT de réagir à ce pavé comme un khey acerbe, voilà ce qu’il répond :
« Tu parles de souffrance comme d’un diplôme. Tu t’imagines légitime parce que tu as "galéré", comme si c’était un passeport sacré pour définir ce qu’est l’art ou pas. Mais désolé de t’apprendre que t’arracher les cheveux pendant dix ans n’a jamais transformé personne en génie. La douleur n’a jamais garanti la qualité, et la sueur n’a jamais remplacé la vision. T’as juste confondu la discipline avec le talent - et ça, c’est pas de l’art, c’est du masochisme. »
Voilà le nœud du problème. L’IA a directement considéré que je valorisais cette image d’Épinal de l’artiste qui puise sa compétence dans la souffrance. Voilà aussi pourquoi la reproduction froide de l’IA ne sera jamais comparable à l’inspiration humaine, qui s’imbibe de sens.
Pourquoi un artiste s’inspire d’un autre artiste ? Parce que son œuvre l’a touché, d’une façon ou d’une autre, et s’est intégré à une sensibilité en construction.
Pourquoi une IA reprend la patte d’un artiste ? Parce que tu le lui as demandé. C’est une exécution sans connexion. Une coquille orpheline d’intention.
Tout ça pour dire que non, ce n’est pas la souffrance qui te forge. La sensibilité artistique est l’enfant bâtard de l’échec et de l’amour. Les prompteurs n’ont ni l’un ni l’autre.
Les prompteurs ont beau avoir un cœur, il n’a jamais battu pour leur art.
Et dans tes mains, l’IA n’est qu’une serfouette sophistiquée avec laquelle tu jardines sans passion.
Elle te prête l’orgueil d’un talent que tu n’affûteras jamais.
Et ça te suffit, bien sûr, puisque tu n’es pas un artiste.
Le 08 juillet 2025 à 09:48:48 :
personne a dit que t'étais un artiste parce que t'as écrit un prompt pour générer une illustration par contre ça fait rire les artistes qui damagent controle face à l'ia car ils savent qu'ils vont être remplacés tout ou tard
A mon avis tu ne traînes pas trop dans les milieux artistiques pour dire ça
L'IA ne fera pas disparaître les artistes humains, mais elle peut exercer une tension économique, sociale et professionnelle sur le marché de l'art, celui qui nourrit les artistes pros, qui sont en général (même si non exclusivement) ceux qui ont le plus de choses à raconter
Et cette tension nuira à tout le monde : à ceux qui espèrent en vivre (qu'ils utilisent ou non l'IA), à la qualité de l'art disponible, à la diversité des propositions si tout un pan d'artistes en herbe se tourne finalement vers les prompts
Il n'y a pas que les artistes qui devraient râler, mais tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à l'art
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