Demain l'usine elle r'ouvre
3h30, le réveil m'arrache les oreilles
J'avais enfin réussi à m'endormir, environ une demi heure
Je m’assois sur mon canapé, l'estomac en vrac, j'avale mon jus d'orange les yeux dans le vide
Un humain c'est pas fait pour se lever si tôt, putain. Pourquoi je fais ça? Pour qui? Hein?
Je sors. Je vais Ă la bagnole. Dehors, il fait tout noir, c'est mort, Ă part les piafs et des petits cons qui font la fĂŞte dans le hlm en face du mien
Ils écoutent maître gims avec la fenêtre grande ouverte, ils s'en foutent que les autres se lèvent tôt
Je les vois au balcon me regarder en ricanant, comme des hyènes perchées
Pas la peine de leur répondre. En plus si ça se trouve bientôt eux aussi ils iront à l'usine
Je monte dans ma caisse, je démarre, elle tousse. Mon vieux compagnon le voyant moteur me salue comme chaque matin. Les garagistes, y veulent pas la toucher, trop miteuse. Le contrôle technique il est pour dans un mois. Fait chier
Heureusement, j'ai pas beaucoup de trajet. Mais un putain de dacia duster me colle au cul. Je reconnais Jean-Michel, un fier daron usiniste, 30 ans d'expérience qu'il a le Jean-Michel. Il est pressé d'aller se faire exploiter. Pas moi. Sur le parking de l'usine, il me le reprochera "Euuuh faut rouler gamin y'a personne lô"
Les vestiaires
Dedans, ça pue les égouts, la pisse et le foutre des douches
Les casiers de mes collègues sont décorés avec des autocollants, "Yamaha racing team", "On dit merci qui?"
Y'en a même un avec une bite de dessinée
C'est moi qui l'ai faite. Je sais même plus pourquoi j'ai fait ça
Je met mes pompe de sécu qui font 15 tonnes chacune, mon bleu, et je file au point de ralliement
Mon chef et mes collègues m'y attendent déjà . J'ai jamais eu de chance avec les profs à l'école, avec les chefs c'est pareil. Je lui serre la main, à l'usine tout le monde se serre la main. Il me regarde, et regarde sa montre connectée de merde sans rien dire
Il nous donne tous nos taches du jour, tout fier qu'il est de jouer les chefaillons. Il passe me voir un peu plus tard sur mon chantier "Sur la fiche d'objectif, ils te demandent de remplir 8 cases. Essaie d'en faire plus Célestin. Au moins 10"
J’argumente pas, je dis juste "oui oui". Je pourrais lui parler de Céline, ou de Marx, mais à quoi bon? De toute façon il sait même pas qui c'est
Pause. Je me fous dans mon coin, dehors, au calme, loin du réfectoire ou ça pue le micro onde, et ou ça parle de travaux dans la maison, de moto ou de la dernière émission de télé à la con. J'ai pas envie
Un jeune cadre des bureaux passe. Chemise bien repassé, regard propre, corps droit et sportif. Il me regarde avec un air hautain "La pause, monsieur, c'est au réfectoire."
"Ahhheuuu oui bonjour"
Il s'en va en haussant les sourcils
Je gratte 5 minutes de pause, et je reviens sur mon chantier, mon chef me vois. Il l'aime bien sa montre. C'est rien qu'un con
Les dernières heure rampent
Mes pieds sont des enclumes, mon dos est un vieux clou tordu
Le temps s'étire comme un vieux chewing-gum sur une semelle
Chaque minute dure une putain d'éternité
Je recroise l'autre cadrillon avec son regard froid. Il porte une veste de bleu propre, et des gants tout neufs sur le coté "Les bouchons d'oreille, c'est en option?"
Il enverra un mail à mon chef pour lui dire que je suis qu'un bœuf
Quand enfin la sonnerie libère les damnés, je file au vestiaire comme une ombre en esquivant mon débile de chef
Je prend tout le temps la même douche, ou la même crotte de nez m'attend depuis 6 mois, collée à son mur comme une moule à un rocher. Fidèle compagnon de misère, comme le voyant moteur
Je rentre. Pas de sieste, faut pas, sinon la nuit est foutue
J'erre sur jvc, plus de jus dans la batterie
J'ai le cerveau à sec, l'âme limée
Demain, on recommence