INT. CAVE NUIT
Une ampoule nue pend du plafond, grésillant légèrement. Un homme, JÉRÔME (35 ans), est attaché à une chaise métallique, le visage tuméfié, les poignets ensanglantés par les liens. Il halète, les yeux fous de panique.
CLAIRE (28 ans), fine, les cheveux relevés, un tablier taché de sang sur une robe élégante, descend calmement les marches, tenant un sac d’outils en toile. Elle sourit comme si elle allait peindre un tableau.
CLAIRE
(doucement)
Tu ne devineras jamais combien il est difficile de trouver une scie osseuse silencieuse. Internet regorge d’avis, mais jamais de ce genre de… spécificités.
JÉRÔME
(implorant)
Claire… s’il te plaît… je t’en supplie… je te dirai tout ce que tu veux…
CLAIRE
(rigolant légèrement)
Mais Jérôme, tu crois encore que c’est une question d’informations ? Tu penses que t’as quelque chose à marchander ? C’est mignon, vraiment.
Elle pose le sac à ses pieds, sort une paire de gants en latex, puis une scie électrique de précision.
CLAIRE
(s’approchant)
Tu vois, je ne vais pas te tuer vite. Ce serait trop… banal. Non, je vais commencer par les jambes. D’abord les tendons, ensuite les os. Tu vas sentir chaque vibration. Ça va hurler dans ton crâne.
JÉRÔME
(non, en sanglots)
Tu es malade… tu es complètement folle…
CLAIRE
(s’agenouillant devant lui, les yeux brillants)
Folle ? Peut-être. Mais je suis précise. Et surtout, méthodique. Tu devrais être flatté : c’est une œuvre unique. Une première.
Elle se relève, allume calmement la scie qui émet un bourdonnement grave. Elle s’arrête, la regarde.
CLAIRE
Tu sais ce qui est drôle ? C’est la suite. Tu veux savoir ce que je vais faire de toi après ? Hmm ?
Elle se penche vers son oreille.
CLAIRE
Je vais t’évider, pièce par pièce. Les viscères dans des sacs hermétiques. Le sang, filtré, congelé, offert à un cochon de ferme dans les Ardennes. Et tes os ? Nettoyés, blanchis… montés en mobile. Une sculpture. Je l’appellerai Résilience.
JÉRÔME
(tentant de se débattre)
Non… non… tu peux pas… Tu peux pas faire ça…
CLAIRE
(avec une tendresse glaçante)
Mais si, Jérôme. Et je vais le faire lentement. Parce que tu m’as appris une chose très précieuse…
(pause)
…la douleur, c’est la seule vérité.
Elle baisse la visière de son masque, enclenche la scie.
FONDU AU NOIR sur le hurlement déchirant de Jérôme.
Voulez vous la suite ?
INT. CAVE PLUS TARD DANS LA NUIT
Le silence est pesant. Une flaque de sang s’est élargie sous la chaise. JÉRÔME est toujours vivant, mais son souffle est saccadé. Une jambe a disparu ou du moins ce qu’il en reste est caché sous une bâche plastique trempée.
CLAIRE est accroupie à côté de lui, nettoyant méticuleusement un scalpel avec une lingette imbibée. Elle a retiré son tablier. Sa robe noire est immaculée à présent.
CLAIRE
(avec calme)
Tu sais, j’ai toujours été fascinée par les cicatrices. Pas les petites, pas celles qu’on cache. Celles qui racontent. Celles qui crient.
Elle caresse la joue enflée de Jérôme. Il a un spasme de terreur.
JÉRÔME
(à peine audible)
Tu… tu vas me laisser comme ça ?
CLAIRE
(souriante)
Oh non. Pas encore. Tu n’es pas prêt pour la fin. Pas tant que je ne t’ai pas entendu chanter.
JÉRÔME
(haletant, perdu)
Chanter ? Quoi… ?
CLAIRE
(rêveuse)
Pas au sens littéral. Une voix d’agonie… elle a un timbre particulier. On le sent… ici.
Elle pose la main sur sa poitrine, là où bat son cœur.
CLAIRE
Je l’ai entendu une seule fois. Mon père. Il a mis longtemps à… s’éteindre. Ce n’était pas un cri. C’était… une confession faite à la mort elle-même.
Elle se relève, va chercher un petit flacon posé sur un établi, le débouche.
CLAIRE
Tu sens ça ? Chloroforme. C’est ma dernière faveur pour toi. Je vais te plonger, pas longtemps… juste assez pour que tu sois confus quand je t’ouvre. Tu ne résisteras pas. Tu ne sauras même plus que tu es en train de mourir.
JÉRÔME
(paniqué, pleurant)
Pourquoi… Pourquoi moi ?
CLAIRE
(toujours douce)
Parce que tu étais là. Parce que tu ne m’as pas vue. Parce que je suis fatiguée de regarder le monde sans qu’il me regarde en retour. Et toi… tu m’as vue. Trop tard. Mais tu l’as fait.
Elle approche le chiffon imbibé du visage de Jérôme, qui tente faiblement de résister. Elle le maintient en place avec une tendresse absurde, presque maternelle.
CLAIRE
(chuchotant)
Dors maintenant. Quand tu te réveilleras, on sera enfin… intimes.
JÉRÔME s’évanouit.
CLAIRE reste un moment figée, contemplant le corps inerte. Puis elle prend un enregistreur vocal, appuie sur “record”.
CLAIRE
(à l’enregistreur)
Sujet numéro deux. Début de phase terminale. Incision prévue au thorax. Extraction des côtes pour étude comparative. Noter : Jérôme présente une résistance émotionnelle plus faible que le précédent.
Elle s’approche de la table, allume un projecteur chirurgical, et ajuste ses instruments.
COUPE BRUTALE. FONDU AU NOIR.
INT. CAVE QUELQUES HEURES PLUS TARD
Un projecteur halogène éclaire une table d’instruments. Des morceaux de chair sanguinolente reposent sur un plateau en métal. JÉRÔME est toujours attaché, mais redressé. Il est pâle, vidé, conscient par intermittence. Sa jambe droite est bandée grossièrement il en manque un morceau évident.
CLAIRE est debout devant lui, un bol à la main, et une cuillère. L’odeur est écœurante.
CLAIRE
(joyeuse, presque chantante)
Tu vas être fier de moi, Jérôme. Je me suis surpassée. Une cuisson lente, dans un peu de vin rouge, une pointe de thym… et du foie gras. Pour la texture.
Elle lui montre le contenu du bol. C’est un ragoût épais, rouge foncé. Claire trempe la cuillère, la lève doucement vers lui.
JÉRÔME
(hoquetant, horrifié)
Non… Non non non… C’est pas… c’est pas moi…
CLAIRE
(doucement)
Si. Une belle lamelle de ton quadriceps. Juste là… (elle effleure sa propre cuisse) la meilleure partie. Dense, tendre. J’ai goûté. Tu es délicieux.
JÉRÔME
(pleurant, secouant faiblement la tête)
Je vais vomir… Je vais crever…
CLAIRE
(enjouée)
Justement ! Mais pas tout de suite. Non. Pas tant que tu n’as pas accepté ce que tu es devenu. Pas tant que tu n’as pas… intégré ta fin.
Elle force la cuillère contre ses lèvres. Il serre les dents.
CLAIRE
(sérieuse tout à coup)
Si tu ne manges pas… je vais aller chercher un morceau plus intime. Et cette fois, tu seras entièrement réveillé quand je couperai.
Un long silence. Jérôme tremble, ses larmes coulent. Finalement, il entrouvre la bouche.
Claire insère lentement la cuillère. Il mâche avec un dégoût absolu, suffoquant à chaque mouvement.
JÉRÔME
(entre deux haut-le-cœur)
Pourquoi… pourquoi tu fais ça… ?
CLAIRE
(très calme)
Parce que ça te réduit à l’essentiel. Parce qu’à ce stade, tu n’es plus un homme. Tu es matière. Et parce qu’aucune confession, aucun cri, ne vaut la pureté du moment où l’on mange soi-même.
Elle le regarde avaler.
CLAIRE
(à voix basse)
C’est ça, l’abandon. Tu viens de t’ingérer. Tu es devenu ton propre tombeau.
Elle sourit, pose le bol, et embrasse doucement son front, presque avec tendresse.
CLAIRE
C’est bientôt fini. Tu seras libéré. Mais pas ce soir. Ce soir, on fête ton… évolution.
Elle s’éloigne dans l’ombre de la cave. L’ampoule grésille. Jérôme se met à sangloter, la bouche encore pleine.
INT. CAVE QUELQUES INSTANTS PLUS TARD
JÉRÔME est semi-conscient, le visage ruisselant de sueur, les lèvres souillées de sang et de ragoût. Il halète, son regard perdu dans le vide. CLAIRE est hors champ.
Soudain, elle revient, traînant une petite table roulante sur laquelle repose une scie chirurgicale et une trousse d’amputation. Son calme est glacial. Elle enlève ses gants tachés et en met de nouveaux, propres.
CLAIRE
(doucement)
Il y a une chose que je n’ai pas encore testée. Un fantasme, pour être honnête. Tu vas m’aider.
Elle se penche vers lui, caressant sa main droite sale, enflée, tremblante.
CLAIRE
Tu ne t’en sers plus, pas vrai ? Elle est inutile maintenant. Inerte. Mais… et si on lui donnait un rôle ? Un dernier acte ?
JÉRÔME
(voix brisée)
Arrête… arrête…
CLAIRE
(fermement)
Non. Tu ne commandes plus rien. Tu existes dans mon espace, Jérôme. Tu es un matériau. Rien d’autre.
Elle attache le bras droit au repose-bras de la chaise, le fixe avec des sangles. La scie est déjà en train de vibrer, posée contre le bois, prête.
Claire se baisse, regarde Jérôme droit dans les yeux.
CLAIRE
Respire profondément. Pense à quelqu’un que tu aimes. C’est toujours plus intéressant quand il y a un contraste.
Elle démarre la scie. Le bruit est assourdissant. Jérôme hurle, mais c’est couvert par la vibration métallique. Claire coupe net, sans hésitation.
PLAN RAPIDE
Le sang jaillit. La main tombe dans un bac en métal avec un bruit humide.
INT. CAVE QUELQUES MINUTES PLUS TARD
Claire nettoie la main tranchée avec un chiffon humide, puis la tient comme une marionnette. Elle s’approche de Jérôme, désormais à moitié évanoui, la bouche ouverte, le corps secoué de tremblements.
CLAIRE
(souriante)
Regarde… Tu vas te frapper. Juste une fois. Un petit au revoir.
Elle lève la main coupée, la fait claquer brutalement contre la joue de Jérôme.
CLAIRE
(ton enfantin)
Clac ! Oh… t’as vu ça ? Tu te manques de respect maintenant. C’est magnifique.
Elle le frappe à nouveau. Puis encore. Des claques molles, absurdes, grotesques.
CLAIRE
(chantant doucement)
“Frappe-toi toi-même, c’est la règle du jeu…”
Elle s’arrête. Le silence revient. Claire dépose la main sur ses genoux comme un chat mort.
CLAIRE
(tout bas)
Tu veux mourir maintenant, hein ? Je te comprends. Mais il reste encore… un petit acte final.
Elle sort une aiguille. Longue. Fine.
CLAIRE
Je veux savoir jusqu’où tu iras. Jusqu’où ton corps tiendra. Parce que moi… je peux aller très loin.
Elle s’avance.
FONDU AU NOIR.
INT. CAVE PLUS TARD DANS LA NUIT
JÉRÔME n’est plus qu’un spectre. Son corps est meurtri, sa volonté brisée. Il ne pleure même plus. Son regard est vide. Claire, elle, est étrangement calme. Propre. Elle s’est changée, porte une chemise blanche, trop grande pour elle. Elle s’approche lentement, pieds nus, le sol collant sous ses pas.
CLAIRE
Tu sais… il y a une dernière chose que je veux expérimenter.
Elle se met à genoux devant lui. Jérôme tressaille faiblement, ses bras pendants, son corps en tension.
CLAIRE
(avec une douceur clinique)
Tu crois que t’as encore un peu d’homme en toi ? Je me demande. Est-ce qu’on peut forcer le corps à trahir l’âme… jusqu’au bout ?
Elle pose la main sur son bas-ventre, le regarde sans un mot.
JÉRÔME
(voix déformée par la fatigue)
Pourquoi… pourquoi tu fais ça… ?
CLAIRE
Parce que c’est l’humiliation totale. Parce que si ton corps répond… malgré tout… alors tu n’es plus qu’un pantin. Même ton plaisir t’échappera.
Elle commence, lentement. Pas de passion. Pas de désir. Juste une méthode glaciale, chirurgicale.
Jérôme gémit, d’abord de honte, puis de panique. Son corps, malgré lui, réagit. Claire le regarde droit dans les yeux.
CLAIRE
(à voix basse)
Tu vois ? Tu ne contrôles plus rien. Même pas ça. Tu es une marionnette… un souvenir d’homme.
Il se débat faiblement, des larmes aux yeux, mais il est à bout de forces. Claire s’arrête brusquement, à quelques instants de le faire jouir.
CLAIRE
Non. Pas jusqu’au bout. Tu ne mérites même pas cette fin.
Elle crache. Se redresse. Le regarde, méprisant.
CLAIRE
Tu n’es plus rien. Même ton plaisir t’a été volé. Même ça.
Elle s’éloigne dans l’ombre. Jérôme hurle un hurlement silencieux, guttural, d’un homme qu’on a vidé jusque dans son humanité la plus primitive.
INT. CAVE TRÈS TARD DANS LA NUIT
Un silence étrange s’est installé. On n’entend plus que le goutte-à-goutte régulier d’un tuyau fuyant. Jérôme est à moitié inconscient, son torse se soulève lentement. Claire est assise sur un tabouret face à lui, les mains croisées, calme, presque triste.
CLAIRE
Tu sais, je crois qu’on a touché quelque chose ce soir. Un fond. Un absolu. Mais il me manque encore une pièce… un geste final.
Elle se lève, prend un petit tube blanc posé sur la table. Une étiquette : “Super Glue industrielle fixation permanente”. Elle le fait claquer dans sa main.
CLAIRE
Tu m’as montré que même ton plaisir… pouvait être retourné contre toi. Alors il ne reste qu’une chose à faire : effacer ce que tu étais.
Elle prend un scalpel. Il est d’une propreté clinique. Elle s’agenouille devant lui une dernière fois.
JÉRÔME
(à peine audible)
Pitié… non… pas ça…
CLAIRE
Tu n’es déjà plus un homme, Jérôme. Tu n’es qu’un mythe qui se croit vivant.
Elle agit. L’acte est rapide, chirurgical. Pas de cris, juste un râle d’agonie. Du sang. Beaucoup de sang. Claire place soigneusement l’organe sectionné sur un plateau.
PLAN FIXE
Claire nettoie le morceau de chair, puis le presse délicatement contre le front de Jérôme, comme un ornement grotesque. Elle applique la colle. Maintient. Sourit.
CLAIRE
Voilà. Maintenant, c’est officiel : tu portes ton identité perdue comme une couronne ridicule.
Elle recule d’un pas, observe sa “sculpture”. Un homme brisé, mutilé, rendu absurde.
CLAIRE
(à elle-même)
Il fallait que ce soit grotesque. Il fallait que ce soit risible… pour que ce soit complet.
Elle se rassied. Allume une cigarette. La première de la nuit. Elle regarde son œuvre.
CLAIRE
Tu n’es plus Jérôme. Tu n’es plus un corps. Tu es une preuve. La preuve qu’on peut tout enlever à un homme… et qu’il respire encore.
Silence.
Jérôme, le front collé à sa propre virilité mutilée, ne dit plus rien. Il ne pleure plus. Il ne vit plus vraiment.
INT. CAVE AUBE NAISSANTE
Une lumière bleutée filtre à peine par une minuscule grille d’aération. L’air est lourd. Le sol est souillé, collant, mais calme. JÉRÔME est toujours attaché, pantin disloqué, le regard vide. Il n’a plus la force de gémir.
CLAIRE entre à nouveau dans le cadre. Elle porte un gilet propre, les cheveux attachés. Une tasse de café à la main. Elle est d’un calme absolu.
CLAIRE
(soupirant doucement)
Tu as été au-delà de ce que j’imaginais. Jusqu’au bout. Tu t’es accroché. Mais… c’est l’heure.
Elle repose la tasse. S’approche lentement. Tire un long morceau de ruban adhésif gris, solide, qu’elle déroule avec ce bruit sec et reconnaissable.
Elle se penche, délicatement, comme une infirmière attentive. Colle le premier morceau sur la bouche de Jérôme. Il tressaille à peine.
CLAIRE
(avec une tendresse simulée)
Voilà. Plus un mot. Tu as déjà tout dit… dans ton silence.
Elle caresse doucement son visage, puis tire un deuxième petit morceau de ruban. Elle le montre à Jérôme.
CLAIRE
Tu vois celui-là ? Il est spécial. Il est minuscule. Insignifiant. Et pourtant… il va tout changer.
Elle se penche, pose le petit morceau sur les narines de Jérôme, scellant son nez avec une minutie presque chirurgicale. Elle appuie doucement. Ferme les yeux.
CLAIRE
(à voix basse)
Respire. Essaie.
JÉRÔME se tend d’un coup. Il réalise. Ses yeux s’ouvrent grands. Il tire, tente de crier sous le scotch, se débat faiblement. Mais c’est déjà trop tard. Il ne peut plus respirer. L’air ne passe pas.
Claire s’assoit. Le regarde mourir. Lentement. Les spasmes. Les soubresauts. Les yeux qui roulent. Le corps qui se contracte, puis s’éteint.
CLAIRE
(à voix très basse, presque maternelle)
Voilà. Chut. Tout est fini.
Elle reste là. Immobile. Le regarde comme une œuvre achevée. Aucun plaisir. Juste une forme de paix étrange.
Silence total.
JvArchive compagnon