Dans le pavillon des chiens séniles du refuge des Brumes, chaque mardi, c’est la grande purge digestive. On les aligne, les douze sacs de poils moisis, sur des matelas en mousse imbibés de pisse ancienne et de bave caillée. Leurs culs décrépis, rôtis par l’âge, sont dirigés vers le centre du cercle, tels des canons antiques pointés sur l’autel de la fermentation intestinale.
Chienchien, un teckel de 19 ans à la colonne soudée par le tartre osseux et aux yeux voilés de pus, commence. Il contracte ce qui lui reste de sphincter, entre deux spasmes nerveux, et libère un souffle court, sec, mais d’une acidité perverse. Un pet de vieille viande pourrie, avec des notes de sardines rances et de croquettes oubliées dans une flaque de diarrhée.
Puis vient Ulysse, un bâtard effondré sur lui-même, dont l’anus, en forme de calice nécrosé, laisse s’échapper un filet gazeux long, sifflant, accompagné d’un petit bout de crotte racornie, dure comme un noyau de prune, qui roule doucement sur la bâche plastifiée, avant de s’écraser mollement dans la trace de sang séché d’une hémorroïde percée.
Un à un, les chiens expirent leurs entrailles. Des pets mous, gluants, parfumés à la nécrose intestinale. Certains, comme Belle-Belle, ex-pékinoise de salon devenue loque pelée, produisent des flatulences continues, vrombissantes, comme un ballon qui se dégonfle lentement, libérant une brume de gaz chaud chargé de mucus anal et de restes de vers morts, désintégrés par les années de traitements inefficaces.
Les fesses se dilatent, se contractent, des poils tombent, des glandes anales éclatent, projetant sur les murs des traînées brun-gris où se mêlent résidus de nourriture partiellement digérée et bile coagulée. Le sol devient glissant, visqueux, couvert d’un voile d’exsudats fécaux et de liquide synovial ayant fui les hanches disloquées de Titus, vieux dogue atteint de la maladie du cartilage liquéfié.
À la fin, il ne reste qu’un silence pestilentiel, chargé de l’odeur dense du pet de vieux chien. Un parfum de fin de race, de fin de tube digestif, de fin tout court. Les vétérinaires notent les performances sur un tableau blanc effacé par les gaz corrosifs, et referment les fenêtres pour que le nuage s’installe. Il faut laisser mariner.
C’est ça, le flatulât gériatrique canin : une liturgie gazeuse, un adieu anal à la vie, une offrande puante aux dieux de la décomposition.
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