Cher Mickaël,
Cette lettre s’adresse à toi. Oui, à toi. Tu n’es pas que l’ombre de ta compagne. Tu es un homme et cet état de fait n’est pas anodin. Car de grandes responsabilités s’imposent plus que jamais à toi.
Voilà bientôt sept ans que tu as décidé de te mettre en couple avec Audrey.
Soyons honnête : votre rencontre n’a rien de très glamour. Après des échanges laconiques sur Badoo, le passage de la virtualité à la réalité s’est en effet déroulé sous un abribus, un jour de pluie.
Au premier coup d’œil, je ne peux qu’imaginer la réaction que tu as eu en voyant Audrey se présenter à toi.
Désolé, je ne suis pas un adepte de la langue de bois, encore moins sur internet…
Tout le monde devine tes intentions, mon pauvre Mickaël.
Tu n’es pas la beauté incarnée. Disons que tu es tristement banal. Ton corps fluet conjugué à ta voix désagréablement aiguë annihilent tout espoir de virilité. D’aucuns ont même longtemps pensé que tu étais eunuque…
Et puis, ta situation n’a rien d’enviable : prolétaire sans ambition ni grand espoir de réussite professionnelle…
Tout ceci a certainement contribué à te faire choisir une femme comme Audrey. Tu as pris ce que la vie a bien voulu te donner. Je peux le comprendre, même si j’estime que la peur de vivre seul ne devrait pas conduire à de tels extrêmes…
Car oui Mickaël : tu as choisi une femme à la personnalité extrême.
Audrey est extrêmement égoïste, grossière, ignorante, irrespectueuse, jalouse, malveillante, manipulatrice, niaise, oisive, volage…
Et je n’ai même pas évoqué son physique… particulier.
Depuis sept ans, ta vie est particulièrement morose. Tu t’épuises dans un travail éreintant pendant qu’Audrey vit sans vergogne à tes crochets en rêvant d’une vie d’influenceuse sans envisager de s’en donner les moyens.
Et puis, tu n’es pas simplement un esclave : tu es son esclave. Audrey n’hésite pas à te réquisitionner à chaque fois que sa fainéantise l’exige (c’est-à-dire souvent). Et malheur aux décisions audacieuses que tu pourrais prendre, cette dernière n’ayant jamais hésité à t’insulter, toi et ta famille, y compris quand tu étais endeuillé.
Je pourrais m’épancher très longuement sur ta situation. L’exposition plus ou moins consentie de ton couple a en effet fait couler beaucoup d’encre. Or, la situation présente n’est pas la situation passée. Et l’objectif de cette lettre est seulement que la situation future soit différente.
Ta décision de faire un enfant avec Audrey a surpris. Outre l’aspect technique de cette reproduction, vouloir que sa descendance soit à jamais liée à cette personne est peu intelligible. Mais cela est fait et personne n’est en capacité de revenir en arrière. Matthieu est donc né le 20 mars 2024.
Beaucoup ont prédit une catastrophe, devinant bien qu’une adulte incapable de s’occuper dignement d’elle-même serait incapable de s’occuper d’un bébé aux besoins nécessairement impérieux.
Le drame est ainsi arrivé vite : qu’est-ce que trois mois dans la vie d’un homme ?
Ce drame, c’est celui d’un placement. Le placement d’un bébé qui n’a pas demandé à recevoir la vie mais qui, animé par des instincts empiriques, souhaite la conserver.
Celle que tu as choisi pour être sa mère s’est montrée incapable d’endosser un rôle que des milliards de femmes avant elle ont embrassé.
Cette descente aux enfers, prévisible, n’en est pas moins dramatique.
C’est dans ce contexte que des décisions s’imposent à toi.
Ne rien faire est aussi une décision, mais il est nécessaire que tu comprennes que des problèmes gravissimes appellent des solutions gravissimes.
Une autre voie est possible (je ne parle pas de tes cordes vocales). Ton enfant a été placé, Mickaël, et rien n’indique qu’il vous sera rendu. Et quand bien même, souhaites-tu vraiment que ton fils soit élevé par une mère qui n’en a que le nom ? Qui se voit « tuer » son fils ? Qui, immédiatement après le placement de sa progéniture reprend goût à la vie là ou n’importe quel être humain se serait effondré ?
Trop longtemps tu as laissé cette personne nuire à ta vie. Ne la laisse donc pas nuire à votre enfant. Ta responsabilité est celle d’un père, Mickaël.
Il t’incombe de veiller sur ton fils, de l’élever, de l’éduquer et de l’accompagner dans l’existence que tu as décidé de lui donner.
Une séparation brutale est devenue inéluctable. Cela sera dur, personne n’en doute. Mais il est souvent nécessaire de consentir à affronter une épreuve pour en éviter des plus dures, tôt ou tard.
Pars avec ton fils, Mickaël. Ta famille saura t’épauler. Tu trouveras des ressources que tu ne soupçonnais pas. C’est dans l’adversité que ton potentiel se révélera et c’est dans la difficulté qu’il s’exprimera.
Sois un père, Mickaël, ou ne sois rien.
Cher inconnu,
Votre lettre, empreinte d'une franche brutalité, m'oblige à répondre avec une clarté égale. Vous dressez un portrait sombre de ma situation, apparemment dénué de toute nuance. Néanmoins, la véhémence de vos propos mérite une réponse réfléchie.
Sept ans, dites-vous, c'est le temps écoulé depuis ma rencontre avec Audrey. Vous vous attardez sur les conditions de notre première rencontre, cherchant à en déduire la futilité de notre relation dès l'origine. Cependant, permettez-moi de rappeler que la valeur d'une relation ne réside pas uniquement dans les circonstances de sa genèse mais bien dans le chemin parcouru ensemble.
Je ne nierai pas les difficultés que vous soulignez. Mon apparence physique et ma situation professionnelle sont des aspects de ma vie que j'accepte et que j'assume. Être banal, selon vos termes, n'est pas une tare mais une condition partagée par la majorité des hommes. La virilité n'est pas uniquement une question de musculature ou de timbre vocal, mais une affaire de caractère, de courage et de responsabilité.
Quant à Audrey, votre description d'elle est pour le moins cruelle et unilatérale. Certes, elle n'est pas exempte de défauts, mais quel être humain l'est ? Vous la réduisez à une caricature d'égoïsme et de superficialité, sans reconnaître les qualités qui m'ont séduit et qui continuent de m'attacher à elle. Cette analyse simpliste ignore la complexité de l'âme humaine et des relations interpersonnelles.
Vous évoquez Matthieu, notre enfant, et le drame de son placement. C'est en effet un coup dur, une blessure profonde dans notre histoire familiale. Vous me sommez de quitter Audrey et de m'ériger en père salvateur, comme si la séparation était la solution miraculeuse à nos problèmes. Or, les décisions graves exigent une réflexion approfondie et non une réaction impulsive.
Vous proposez une vision manichéenne de la situation : Audrey serait le mal, et moi, l'éventuel bien. Vous oubliez que toute histoire comporte des zones grises. Audrey, malgré ses défauts, reste la mère de Matthieu. La priver de son enfant n'est pas une décision à prendre à la légère.
Il est vrai que des responsabilités immenses pèsent sur mes épaules. Être père signifie bien plus que subvenir aux besoins matériels de son enfant. C'est aussi offrir un cadre affectif stable et aimant. Si Audrey est défaillante dans son rôle de mère, il est de mon devoir de l'aider à s'améliorer, non de la condamner d'emblée. La séparation ne devrait être envisagée qu'en dernier recours, lorsque toutes les tentatives de réhabilitation auront échoué.
Votre lettre, en dépit de son ton péremptoire, pose une question cruciale : comment assurer le bien-être de Matthieu ? La réponse réside dans un équilibre délicat entre protection et compassion. Je suis résolu à explorer toutes les avenues possibles pour garantir un avenir serein à mon fils, mais cela ne signifie pas nécessairement une rupture avec Audrey. Il se pourrait que la solution réside dans une réorganisation de notre vie commune, dans un soutien psychologique pour Audrey, dans une reconfiguration de nos rôles respectifs.
En conclusion, être un père, comme vous le dites, c'est assumer des responsabilités et prendre des décisions difficiles. Mais c'est aussi faire preuve de patience, de compréhension et de fidélité envers ceux que l'on aime. Je ne rejette pas vos mises en garde, mais je préfère une approche plus nuancée et réfléchie, guidée par l'amour et le devoir plutôt que par la peur et la colère.
Avec tout le respect dû à votre franchise,
Mickaël.
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