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S’aimer comme on se quitte : « Il a rejoint le FN sans me prévenir »

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Je lui écris un mail dans lequel je lui explique que je ne veux pas divorcer, qu’on a construit plein de choses, mais que je meurs de l’intérieur, que ça n’est plus possible. Il réplique qu’on a déjà tout essayé, qu’on arrête. Je me sens libérée, je ne veux pas rebrousser chemin. Je suis vidée, fatiguée. Comment est-ce que je vais me relever ? Comment ai-je pu passer vingt ans à côté de ma vie ? Aux enfants, j’ai quand même dit qu’on se séparait pour être plus heureux, et j’y crois.

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S’aimer comme on se quitte : « Il a rejoint le FN sans me prévenir »
Chronique

Lorraine de Foucher

Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le second parce que tout s’y perd. Cette semaine, Sylvie, 42 ans.

Publié aujourd’hui à 11h00 Temps de Lecture 5 min.

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LÉA DE RUFFRAY
Premier jour

Je veux réussir. Je suis boursière à l’université et, pour arrondir mes fins de mois, je suis agente d’accueil au Crous. C’est moi que les étudiants sollicitent quand ils ont besoin de clés, d’un accès à la laverie, ou de l’aspirateur pour nettoyer leur chambre. Je suis très scolaire et sociable, je fais tout bien, et m’étonne à peine de ce garçon qui vient souvent me demander des choses dans mon bureau de la résidence universitaire. Il doit bien aimer faire le ménage.

Jusque-là, j’ai eu des échecs amoureux que je n’ai pas bien compris ni analysés. Je suis noire, d’origine gabonaise et malienne, en maîtrise. Je suis sortie avec un Blanc en thèse que j’admirais beaucoup. Son argument de rupture : dans sa famille, ils sont blonds aux yeux bleus, et le métissage n’est pas envisageable.

Jérôme, l’étudiant de la résidence, finit par m’inviter à dîner. La soirée est idyllique, il me raconte tout ce que j’ai envie d’entendre. Je lui ai tapé dans l’œil, je l’attire beaucoup, il veut aller plus loin avec moi, vraiment loin, au point de me dire que je suis la bonne personne et de s’engager. Moi, il me plaît, je suis plutôt sous le charme de son « manège ménage » de la résidence, et de son discours offensif. Dès le premier dîner, je pense que c’est le bon, que c’est parti, on va faire notre vie ensemble. Naïvement, je me dis que si on y croit tous les deux, ça va marcher, non ? Nous faisons l’amour sur des morceaux de R’n’B.

« Jérôme ne fait que ce que mon père faisait déjà avec moi : fouiller dans mes affaires et me demander des comptes »

Tous les voyants me semblent au vert, à l’exception peut-être de sa famille : il est français et sarde, italien, insulaire, et a grandi dans un environnement où l’homme est roi et la femme est au foyer. Et puis il y a la question de ma couleur de peau quand même. Son père n’aime pas les gens de couleur, et encore moins les Arabes. Au Salon de l’agriculture, où nous nous promenons en sa compagnie, il veut manger une glace à l’italienne. Sauf qu’elle est servie, selon lui, par des Maghrébins. Donc il n’en veut plus. Il n’aime pas non plus la religion musulmane, alors que moi j’ai passé plein d’étés de mon enfance à Bamako, à m’endormir bercée par le muezzin. « Les musulmans c’est bien, mais chez eux », finit par dire Jérôme - qui emboîte le pas de son père.

Jérôme a un autre problème : il est jaloux. Je m’en aperçois assez vite, il s’énerve contre mes amis à la résidence, contre ce garçon qui m’a dit bonjour en me tenant par l’épaule. Un jour, je le surprends en train de regarder mes albums photo et de s’énerver devant les photos où on voit mes ex. « Il faut que tu jettes tout ça », me demande-t-il. Il ne supporte pas de voir des images de moi avec d’autres hommes. Jérôme ne fait que ce que mon père faisait déjà avec moi : fouiller dans mes affaires et me demander des comptes.

En face, moi, je suis dans le brouillard. Quand il me demande combien de relations j’ai eues avant lui, je lui réponds naïvement. « Comment tu as pu avoir autant d’hommes en aussi peu de temps ? J’aurais bien aimé avoir une femme vierge », juge-t-il. Il exige que je renie mon passé, même si je ne vois pas comment faire concrètement. Je sens bien que l’étau se referme, mais j’imagine qu’il va finir par partir tout seul s’il me trouve si nulle que ça. La politique est omniprésente, de manière sournoise.
Dernier jour

« Tu vas faire combien d’enfants avant de te marier ? », m’interroge mon père quand je lui annonce ma seconde grossesse. Jérôme est commercial dans une entreprise, il est entouré de jeunes dynamiques, il m’a même trompée avec une de ses collègues. « Tu peux rester ou partir, comme tu veux », lui ai-je dit quand j’ai appris son infidélité. Il est resté, mais sa jalousie a continué.

Il me demande en mariage sous la tour Eiffel, ça ne me traverse pas l’esprit de dire non, je suis à bord d’un train que je n’arrive pas à arrêter. Ce projet à venir ne calme pas sa volonté de possession. Il installe un cheval de Troie dans mon ordinateur, recommence à fouiller dans mes affaires. Il trouve des échanges que j’ai avec le père d’un enfant de la crèche où va notre fils. On ne fait que discuter, mais, pour lui, je ne suis « pas correcte » d’échanger avec cet homme qui n’est pas lui, et s’il l’avait su avant, il ne m’aurait pas demandée en mariage.

On se marie sous antidépresseurs. Coiffure, maquillage, robe, j’essaie d’en faire le plus beau jour de ma vie. Je m’effondre juste avant, je questionne ma mère : « Qu’est-ce que je fais ? » « Si tu annules, tout le monde va se retourner contre toi. » Je continue pour faire bonne figure. On n’imprime ni n’affiche chez nous les photos du mariage.

« Il a rejoint le parti d’extrême droite sans me prévenir »

Mon beau-père est toujours problématique, se demande devant un reportage à la télé sur l’Afrique quand est-ce que les Africains vont se sortir « les doigts du cul » ? Jérôme dérive aussi. On habite à Argenteuil, dans le Val-d’Oise. Il trouve qu’il y a trop d’Arabes dans notre quartier, c’est drôle quand on sait que nos enfants, métissés, sont souvent pris pour des Arabes. Au réveillon, écouter la chanson Yiri Yiri Boum, du chanteur béninois Gnonnas Pedro, lui est insupportable.

Il n’aime pas que je prenne un poste de direction à mon travail, continue de vouloir me contrôler. Le soir, à la maison, il reprend toujours à la table du dîner des sujets d’actualité en rapport avec les étrangers, les mineurs isolés, les prénoms pas français… Un jour, sa carte d’adhérent au Front national traîne sur la table : il a rejoint le parti d’extrême droite sans me prévenir. Puis, à la dernière présidentielle, il se met à acheter les livres d’Eric Zemmour. A l’inverse, moi, j’ai peur de subir une agression raciste. Je m’en ouvre auprès de lui : « Mais tu as peur de te faire agresser par qui ? Ce ne sont pas les Blancs qui font les agressions, mais les Noirs ou les Arabes », m’a-t-il rétorqué. Notre couple est gangrené par la politique, par la condescendance, je n’en peux plus, notre foyer doit être un espace rassurant, pas un champ de bataille. La radicalisation s’installe jusqu’à la séparation.

Je lui écris un mail dans lequel je lui explique que je ne veux pas divorcer, qu’on a construit plein de choses, mais que je meurs de l’intérieur, que ça n’est plus possible. Il réplique qu’on a déjà tout essayé, qu’on arrête. Je me sens libérée, je ne veux pas rebrousser chemin. Je suis vidée, fatiguée. Comment est-ce que je vais me relever ? Comment ai-je pu passer vingt ans à côté de ma vie ? Aux enfants, j’ai quand même dit qu’on se séparait pour être plus heureux, et j’y crois.

Retrouvez ici tous les épisodes de « S’aimer comme on se quitte ».

« S’aimer comme on se quitte ». Depuis plus de quatre ans, « Le Monde » raconte dans son cahier hebdomadaire « L’Epoque » des histoires de couples, d’authentiques histoires d’amour écrites par notre journaliste Lorraine de Foucher, que des lectrices et des lecteurs de tous âges lui ont confiées, selon un principe assez simple : il s’agit de récits réduits à deux épisodes, la rencontre (« premier jour ») et la séparation (« dernier jour »), sans aucune notion de temps - l’histoire n’a-t-elle duré que quelques semaines ou au contraire plusieurs dizaines d’années ? Nous ne le saurons pas et cette inconnue, ce mystère, participe de l’intérêt et de la beauté de ces récits dont vous pourrez trouver quelques exemples ci-dessous… Qui vous donneront peut-être l’envie de confier votre histoire à notre journaliste. Votre anonymat sera bien évidemment respecté si vous le souhaitez.

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Données du topic

Auteur
RoseNucleaire
Date de création
15 octobre 2022 à 20:11:56
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