L’initiative mérite qu’on s’y arrête, car elle marque un tournant dans la carrière de Onfray. Fini le gastrosophe dissertant sur le sauternes. Le second Onfray se veut social, rebelle, radical, reprenant du mouvement ouvrier du xixe siècle la tradition de l’éducation populaire nouant un lien entre intellectuels et prolétaires. Les principes de l’université populaire de Caen (qui a depuis fait des émules à Lyon, Avignon, Grenoble ou Roubaix, pour ne citer que celles qui fonctionnent toujours) sont simples : bénévolat des enseignants – qui ne sont que défrayés de leurs éventuels frais de transport –, gratuité totale, absence d’examens comme d’inscriptions, et cours de deux heures, la première pour l’exposé, la seconde pour la discussion. L’affluence est immédiatement au rendez-vous : 10 000 personnes dès la première année. Et un immense succès médiatique à la clé. Il suffit, pour s’en rendre compte, de consulter l’Inathèque, la base de données qui recueille le dépôt légal des émissions de radio et télévision depuis 1995. Avant la fondation de l’université populaire de Caen en 2002, Onfray n’apparaissait sur les ondes qu’une vingtaine de fois par an, au plus. Depuis, on peut le voir et l’entendre au moins une fois par semaine, et même deux fois (109 apparitions) en 2012, élection présidentielle aidant.
En matière de visibilité médiatique il fait aujourd’hui jeu égal avec son vieux rival Bernard-Henri Lévy : 381 apparitions contre 398 à BHL depuis 2010. Dans la catégorie des philosophes médiatiques, seuls Luc Ferry (1 036 apparitions) et Alain Finkielkraut (407 apparitions) les dépassent. Il est vrai qu’ils sont tous deux avantagés par leurs émissions régulières, sur LCI et Radio Classique pour le premier, sur France Culture pour le second.
Bref, si Onfray a créé l’université populaire de Caen, c’est l’université populaire qui a créé le personnage Onfray, en lui donnant son aura de philosophe du peuple.
9D’année en année, les cours de l’université populaire de Caen s’étoffent : à la philosophie, enseignement dispensé par Onfray, se sont ajoutés des cours sur le jazz, l’architecture, les mathématiques, le cinéma, la musique, l’art contemporain… Cinq séminaires l’année de lancement, quinze durant l’année 2014-2015. « Le public est engagé, investi, ponctuel, sans retard ni interruption inopinée. C’est un auditoire attachant », relève Myriam Illouz, qui tient un séminaire de psychanalyse. Et de préciser : « Michel Onfray est devenu hostile à la psychanalyse, pour autant, jamais l’idée de supprimer ce séminaire ne s’est posée. Plus encore, il est soucieux de protéger l’ouverture et la pluralité propres à l’université populaire. » Reste que le public est très majoritairement composé de retraités. Le cours de philosophie d’Onfray dans l’amphithéâtre du Centre dramatique national d’Hérouville-Saint-Clair, en périphérie de Caen, se tient devant un océan de calvities, de teintures et de cheveux blancs. À laisser traîner ses oreilles dans la queue qui se forme avant l’ouverture des lieux, on entend parler croisières sur le Douro, travaux dans la résidence secondaire, week-ends au Mont-Saint-Michel, héritages et successions compliqués. Un public pas vraiment populaire, donc, ce qu’a confirmé la seule enquête sociologique menée, sur un petit échantillon de 200 participants réguliers. Si on lui en fait la remarque, Onfray objecte qu’il ne faut pas confondre populaire et prolétarien. Reconnaissons que le public des universités alternatives, qu’elles se nomment du « tiers-temps », du « temps libre » ou « populaire » (la remarque vaut aussi pour les cours du Collège de France) est partout majoritairement composé de retraités de professions intellectuelles.